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Garbage's Box
2 octobre 2016

Liberation, 3/04/1996

garbage-mag-1996-04-03-liberation-n4625-france  Liberation

pays journal: France
date 3 avril 1996


Garbage, âge tendre et grabuge. Réponse ricaine à la «fast-pop» anglaise, Shirley et sa bande jouent à Paris. Garbage, en concert ce soir à l'Elysée-Montmartre, Paris; album: «Garbage», BMG.

Le fantasme pop a failli tourner au cauchemar. A l'automne dernier, Butch Vig, fameux producteur du Nevermind de Nirvana, était en carafe dans sa retraite du Wisconsin. «Au bord de la dépression nerveuse», précise-t-il. Les crises succédaient aux crises, plus rien ne tournait rond. Garbage, le groupe formé avec deux complices producteurs du Midwest, Duke Erickson et Steve Marker, et une fille d'Ecosse, Shirley Manson, menaçait de n'être que ce qu'on pouvait en attendre: un rêve inerte d'ingénieur du son.

Après quelques mois de tensions devant la console et l'accueil bienveillant réservé au disque, la perspective des concerts ébranlait l'édifice. «A l'origine, Steve, Bruce et moi-même n'avions pas pensé que nous monterions un jour sur scène, raconte Vig. Nous voulions juste former notre propre groupe pour aller au bout des idées qu'on ne pouvait réaliser en travaillant pour les autres, mélanger des idées de tous bords ­ techno, hip hop, grunge, funk, ambient ­ dans le contexte d'une chanson pop. Nous avons multiplié les expériences en studio pour trouver une texture particulière mais quand nous avons voulu prouver au monde que nous étions un bon groupe, c'est devenu une autre histoire.» Premières répétitions catastrophiques; «nul et banal», concède le producteur.

Pour sa première visite française, lors des Transmusicales de Rennes en décembre, Garbage commençait toutefois à sortir du moule. Le son compact, la densité mélodique, la voix et l'abattage d'une Shirley Manson aussi culottée que ses modèles (Chrissie Hynde, Siouxsie) produisaient leur effet dans le palais des sports bétonné où Nirvana s'était imposé. Les trois cerveaux du Midwest et leur imprévisible compagne sont depuis retournés à Madison. Trois semaines de répétition, une mise au point technique et technologique. Et des progrès annoncés: «Nous avons maintenant des instruments qui nous permettent de réutiliser et de réarranger sur scène les boucles et les samples du disque et de prolonger l'expérience, dit Butch Vig. La maîtrise de cette technologie nous permet de jouer en toute décontraction. Enfin presque...»

Le cas Garbage n'a jamais été simple. Il prend sa source dans la frustration de trois malins («Smart» est le nom de leur studio) persuadés de pouvoir trouver la parfaite équation pop en croisant leur formation de musiciens et leur expérience de producteurs.

Butch Vig, fils d'une professeur de musique et batteur branché sur Keith Moon depuis les années lycée, s'est forgé une réputation en apurant et canalisant les tentations bruitistes de la vague grunge (Nirvana, Sonic Youth, Smashing Pumpkins...), ses deux compères-guitaristes ont bossé sur des remixes de U2, Nine Inch Nails, Depeche Mode. «Quand on nous demandait ce genre de travail, raconte l'homme de Nevermind, on ne pouvait s'empêcher d'effacer les pistes pour réenregistrer les instruments. On réécrivait les chansons.» L'envie de composer est venue naturellement. Le trio a repris le fil d'une passion qui les tenait depuis l'adolescence. Ils étaient alors tellement impressionnés par la pop expérimentale du Roxy Music première formule qu'ils avaient formé un genre de fan-club. Ils ont suivi cette piste. Ne leur manquait qu'une voix pour asseoir leur idée. Pas de crooner en vue: ils ont cherché une femme.

La première rencontre avec Shirley Manson, starlette underground au passé corbeau-gothique, a tourné au désastre. Après une prometteuse conversation, l'ex-chanteuse de Goodbye Mr McKenzie et d'Angel Fish, repérée sur MTV, s'est révélée sans voix ni idées lors de l'audition. «On était déçus, raconte Butch Vig. On cherchait une personnalité, capable d'apporter sa patte aux compositions. On voulait éviter le piège évident, la faute que tout le monde guettait: enrôler une créature qui mettrait sa voix au service de nos idées. Mais après le premier essai, elle nous a rappelés, elle avait des propositions à faire et l'envie de nous convaincre. La plupart des textes que nous avons enregistrés ce jour-là ont tenu jusqu'au dernier mix de l'album.» Shirley Manson existe à présent. Au-delà de leurs espérances. La brunette donne corps au groupe sur les planches et en coulisses. Mi-louve, mi-virago. La presse anglaise se régale de ses déclarations à l'emporte-pièce, de ses accès lubriques et de ses aventures scato-rocambolesques. Parfois, elle stoppe net le cinéma et la provocation: «Ma mère m'a prévenue que j'allais finir par passer pour une vraie crétine!»

«A vrai dire, on ne s'attendait pas à un tel personnage, dit Butch Vig. Elle ne nous correspond pas du tout. Elle est caractérielle, elle réagit au quart de tour, alors que nous sommes très pragamatiques, que nous réfléchissons des heures avant de prendre la moindre décision.» Aux premiers jours, l'équipage menaçait d'imploser. Les trois alchimistes brouillaient les pistes à loisir, traquaient tous les accidents possibles, mélangaient trente pistes de guitares pour n'en faire qu'une. Ils avaient tous une idée assez tranchée (et rarement consensuelle) sur les directions à suivre. La chanteuse avançait à l'instinct avec des bribes de mélodies classiques.

L'incompréhension et l'impatience ont accouché de séances électriques, menaces de rupture et pugilats à peine contrôlés. Vig: «Nous carburons à la tension.» Ils en ont tiré quelque chose: un disque taillé pour le succès; une simplicité de façade, minée de l'intérieur. Pretenders ou Cranberries revisités par un Spector des 90's: «L'assurance de la voix de Shirley, son penchant pour une musique et des textes plus universels nous ont permis de pousser les expériences sur le son. Pour l'album suivant, nous prendrons sans doute plus de risques.» Ils parlent du producteur idéal: Spector, Eno, Captain Beefheart, Tom Waits... Galéjade? «Je ne vois pas comment cohabiter. Mais travailler avec Eno serait un rêve.»

Vig ne veut pas reprendre son job de producteur. Les propositions affluent toujours («Maintenant, on me demande du Garbage, plus du Nirvana!»); mais le plan de carrière est fixé: tournée jusqu'à l'automne, puis compositions et enregistrement pour l'été 1997. Garbage est là, semble-t-il, pour un moment: «Si j'entendais parler d'un groupe de producteur, disait Butch Vig au Melody Maker, je me dirais: quel putain d'egomaniaque! Mais Garbage n'est pas mon projet. C'est une collaboration psychotique et dysfonctionnelle

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